Ce courrier lui a été adressé à l’Assemblée Nationale. Il n’est ici pas signé afin de respecter l’anonymat assuré pour tous les « Ecrits en réactions » de ce site
Le 31 juillet 2018
Monsieur Villani Bonjour,
Je me permets de vous adresser ce message en tant que citoyen et scientifique de formation.
Vous avez choisi d’embrasser une représentation nationale en vous présentant aux élections législatives où vous avez été élu sous la bannière du chef de l’état, M. Macron et son nouveau parti « La république en marche ! ».
Vous êtes par ailleurs lauréat de la prestigieuse médaille Fields et vous êtes également un personnage devenu très médiatique tant pour votre engagement pour l’enseignement des mathématiques que pour votre tenue vestimentaire qui vous identifie auprès de tous les citoyens ignorant même la teneur de vos travaux scientifiques jusqu’à la discipline dans laquelle vous exercez.
En dehors de votre engagement politique que je ne discuterai pas, vous avez été amené à vous prononcer sur des réformes engagées par le chef de l’état et défendues par votre parti.
Certaines de ces lois ont fait l’objet de beaucoup d’opposition au sein de notre pays, notamment celle relative à l’immigration et à l’asile.
Comme je vous l’ai spécifié en préambule de ce message, en tant que scientifique, j’attache beaucoup d’importance à l’honnêteté intellectuelle ainsi qu’à la cohérence des positions morales.
J’ai donc pris soin d’aller sur votre site à l’assemblée nationale pour y consulter vos interventions et votre vote.
( https://www.nosdeputes.fr/15/cedric-villani/dossier/2833 )
C’est avec attention que j’ai pris connaissance de vos remarques magnifiant l’apport des scientifiques, des artistes peintres, des musiciens immigrés dans notre culture.
J’aimerais vous poser une question à laquelle vous n’aurez surement pas le temps de répondre compte-tenu de votre emploi du temps : faut-il avoir des talents particuliers pour bénéficier du droit d’asile ? Un plombier, un cuisinier ne connaissant pas la théorie de l’intégration ou ne sachant pas composer une symphonie voire composer un tableau auraient moins de droit à la vie dans notre pays ?
Je pèse mes mots en invoquant la vie. Vous n’êtes pas sans savoir que renvoyer ces gens dans le pays qu’ils fuient signe irrémédiablement leur arrêt de mort. Je ne pense pas que l’on puisse construire une nation uniquement avec des personnalités scientifiques ou artistiques, mais surtout je ne crois pas que l’empathie et l’humanisme véritables se soucient des talents et de leur qualité.
Or il se trouve que vous avez voté cette loi dans une forme qui reste extrêmement dure.
En tant que scientifique, je n’aurais pas l’outrecuidance de vous rappeler que l’examen des faits doit impérativement faire l’objet d’une mise en perspective des conséquences qu’ils entraînent. L’histoire de la science est jalonnée de cette interrogation.
En tant que citoyen je n’aurais pas l’outrecuidance de vous rappeler que les obligations morales sont indéfectiblement liées aux réponses scientifiques.
En l’espèce il m’apparaît, mais j’ai sans doute manqué d’informations et de perspicacité, que vous n’avez suivi ni l’examen des conséquences ni les obligations morales liés à ce problème qui nous engage tous, citoyens quelle que soit notre fonction.
Mes professeurs et maîtres qui ont conduit mon éducation m’ont inculqué avec passion et talent la volonté de la quête de la vérité dans les recherches scientifiques.
Ils m’ont, ainsi qu’à tous mes camarades, enseigné la nécessité de respecter les lois de la logique et de nous méfier des violations de ses règles. Ils nous ont enseigné à penser clairement avec les mots les plus justes possibles afin d’avoir une réflexion efficace, pesée à l’aune des faits et sans ambiguïté. Nous leur sommes d’une reconnaissance éternelle pour leurs leçons avisées sur le respect du tiers exclu, du modus ponens, du modus tollens et autres chausses trappes de l’expression qui peuvent révéler un esprit confus voire affabulateur.
Je voudrais soumettre à votre sagacité de scientifique émérite ce court reportage sur les déclarations de votre chef de file, M. Macron :
https://www.dailymotion.com/video/x5dyhm7 .
Au-delà de ses déclarations d’intention que chacun peut apprécier selon sa sensibilité, je vous interroge sur la cohérence des propos.
Je vous rappelle que M. Macron, comme président de la république est fonctionnellement investi d’un pouvoir extrêmement important sur un nombre non moins important de sujets.
Derrière les attitudes de façade consistant à amender à la marge des textes dont l’application se révèlent d’une violence et d’une dangerosité incalculables, nous savons que tout refus de voter favorablement entraîne inéluctablement l’exclusion de votre mouvement.
Je n’aurais pas l’arrogance de vous rappeler que pour bien réfléchir sur des sujets complexes il est d’une nécessité absolue, bien que non suffisante, d’avoir une indépendance de réflexion totale.
Nous comptons dans notre pays bon nombre de scientifiques et de philosophes de grand talent qui ont gardé leur distance vis-à-vis de la politique et que se conforment aux exigences de leur discipline. Je pense ici entre autre à M. Serge Haroche, prix Nobel de physique en 2012 et à M. Jacques Bouveresse professeur de philosophie au collège de France.
Je ne suis pas seul à m’interroger sur le futur de notre monde et de notre société ainsi que du rôle que chacun doit y jouer.
Voilà la raison pour laquelle je me permets de vous questionner à deux titres, celui de scientifique et celui de citoyen élu.
Je me permettrai de poster cette lettre ouverte sur les réseaux sociaux afin d’interroger également mes concitoyens et de leur fournir vos réponses éventuelles.
En vous remerciant par avance d’hypothétiques réponses, je vous prie d’accepter ma respectueuse considération.
Suite de la Lettre adressée à M. Villani