La longue chronique de ces derniers jours, au Royaume du Grand Cul par dessus Tête…

Dans un style unique, drôle si ce n’était pas si dramatique, l’autrice nous raconte les épopées de ces derniers jours en macronie. Teinté d’un humour féroce et ne laissant rien échapper à son acuité, elle nous livre ici un texte jubilatoire. Parce qu’il est bon de dénoncer sans cesse ce pouvoir délétère, parce qu’il est bon de se moquer de ces foutriquets menteurs et stupides, nous vous engageons à lire ce texte et à le partager. Merci à son autrice !

 

La longue chronique de ces derniers jours, au Royaume du Grand Cul par dessus Tête…
Chronique du deuxième jour du mois de décembre, en l’an de disgrâce 20…
Où il est question de coups bas, de neige interdite et d’une riante perspective…

Les Riens et les Riennes furent très nombreux à battre les pavés des cités du pays pour protester vigoureusement contre l’édit du duc du Dard-Malin, lequel édit avait pour but d’exercer un contrôle généralisé de toute la population du pays, à l’aide de lucarnes scélérates et d’engins volants motorisés munis d’automates qui reconnaîtraient jusqu’au moindre de vos poils et vous mettraient en fiche dans un grand livre que la maréchaussée pourrait désormais compulser à loisir sans que la Justice eût à y donner son autorisation. Les argousins, dont quelques-uns s’étaient, quelques jours auparavant, illustrés de façon fort embarrassante, étaient sur des charbons ardents. Le Grand Prévôt de Lutèce, l’ineffable Sieur Teutonic, s’était adressé à ses hommes dans une missive si ampoulée qu’elle eût pu à elle seule remplacer tous les becs de gaz du pays. Cet homme inflexible leur ordonna d’avoir « la riposte appropriée » -étant naturellement entendu que la populace était l’ennemi auquel il fallait courir sus– et de tenir « la ligne républicaine ». On put voir le soir même combien il avait été entendu. Un jeune émule de Monsieur Niepce, un Syriaque qui avait fui son pays en guerre pour venir trouver asile dans le nôtre, afin d’y exercer sa passion qui était de montrer au monde par ses saisissantes photographies les effets délétères de la violence, fit les frais avec d’autres malheureux du zèle des argousins. L’un d’eux –alors même qu’il était patent que ce brave ne faisait que son métier, le battit comme plâtre à l’aide de son bâton ferré, lui fracassant le nez et lui brisant l’arcade sourcilière. Le pauvre jeune homme confia qu’il avait un instant cru être revenu dans son pays en guerre, là où il avait naguère failli perdre la vie.

Les argousins récoltèrent aussi ce qu’ils avaient semé. Certains furent pris à partie par des bandes armées, dont on ne savait trop comment ces mêmes argousins les avaient laissé passer, alors même que les quidams inoffensifs étaient fouillés et sévèrement contrôlés. C’était à n’y rien comprendre, à moins que le but ne fût de détourner l’attention : ne fallait-il pas montrer à la majorité silencieuse qui se terrait dans les chaumières par peur des miasmes que les excités qui s’en étaient allés soi-disant défendre la liberté, n’en voulaient en réalité qu’à la vertueuse maréchaussée ?

La veille, Notre Amnésique Trouillard s’était adressé à Ses mauvais sujets par le truchement des rézosociaux pour leur dire tout son effroi et sa honte devant les images de ce brave Rien grandement malmené par des argousins, dont on allait apprendre par la guilde qui les défendait bec et ongles, qu’ils avaient, les malheureux, agi sous l’emprise de la frayeur et de leur odorat délicat, et que le quidam, compte-tenu qu’il avait la face « nouare » avait sûrement beaucoup à se faire reprocher. D’ailleurs, n’avait-on point trouvé quelques miettes d’une substance illicite dans la besace de cet ennemi public ? Les Lucarnes Magiques bruissaient du caquètement incessant de la volaille qui faisait l’opinion. D’aucuns, parmi les Riens et les Riennes, se demandaient toujours, avec des mines effarées, ce qu’il adviendrait du pays si la ChatelHaine de Montretout remportait le Tournoi de la Résidence Royale. A fréquenter les salons des Lucarnes Magiques, on eût pu aisément croire que c’était là chose faite tant les idées nauséabondes des Haineux s’étaient répandues telles les miasmes de la peste noire et avaient prospéré, gangrenant les cervelles. Monsieur du Prout, ce faux gazetier, en était sévèrement atteint, de même que le très bilieux Monsieur de la Zizanie.

Las pour ces argousins, Sa Vertueuse Blancheur ne l’entendit point ainsi, Elle exigeait que Ses Chambellans ravaudassent sur le champ le torchon brûlé entre le peuple et la maréchaussée, et qu’on fût intraitable. Mais on comprit fort aisément que ce qui chagrinait par dessus tout le Roy, c’était encore et toujours les images ! Le lendemain, ce furent celles des pauvres argousins à moitié lynchés par des quidams tout de noir vêtus qui excita son ire. Il en oublia illico les mots sévères qu’il avait eu la veille . « La Startupenéchionne est un pays d’ordre et de liberté, pas de violence gratuite et d’arbitraire » fut-il royalement clamé depuis le Château sur le fil de l’Oiseau Cuicuiteur. Laquelle des personnalités de Notre Multiple Bonimenteur fallait-il croire ?

La maladie du vire-vire qui avait contraint ce pauvre baron du Cachesex à s’aliter semblait donc avoir atteint Sa Nuageuse Altitude. Le Premier Grand Chambellan, qui avait encore le tournis, fut convoqué au Château, ainsi que le duc de Gazetamère, subitement revenu en grâce. Le Roy chargea –à la grande satisfaction de son fidèle Rantanplan- le duc du Dard-Malin de tous les maux nés de cette maudite loi, laquelle allait bientôt se transformer en édit. Il fallait escamoter au plus vite ce fâcheux article vingt-quatre dont le seul et unique responsable était tout trouvé : le malheureux Chambellan aux Affaires Domestiques, monseigneur le duc du Dard-Malin. Notre Poudreux Amnésique avait oublié deux petits détails : en premier lieu que Ses Dévôts venaient d’approuver la dite loi –quoiqu’il y en eût quelques récalcitrants, on avait été bien aise de trouver les voix des Raits Publicains et des Haineux– et qu’il revenait maintenant à la Chambre Haute d’en décider, et en deuxième que c’était au Château que cet article avait été écrit par Son Altesse Elle-même sous la dictée des guildes d’argousins qu’on avait reçues en grand secret…

Le duc du Dard-Malin rentra fort marri dans son hôtel, remâchant son ire en même temps qu’il digérait son chapeau, tandis que Rantanplan, fier comme un pou, plastronnait. Les Dévôts se mirent aussitôt à plat-ventre face à terre devant le Roy et assurèrent les gazetiers que les plumes couraient déjà sur le vélin pour réécrire cet embarrassant article. Nul ne songea à prévenir les vieilles badernes de la Chambre Haute, on les avait purement et simplement oubliées, Sa Tyrannique Mesquinerie n’ayant dans cette assemblée aucun partisan.

Le Premier Grand Chambellan était quant à lui fort occupé à rédiger un nouvel édit qui interdirait aux Riens et aux Riennes de désobéir aux ordres royaux. L’hiver arrivait, la neige tombait déjà en quantité mais les Conseillers avaient suggéré au Roy qu’il était folie de permettre aux Riens et aux Riennes d’aller au grand air. S’entasser à des centaines dans les charrettes communes était à l’inverse tout à fait inoffensif, les miasmes étant claustrophobes et préférant les grands espaces ensoleillés. Mais l’on s’avisa que certains récalcitrants pussent concevoir la mauvaise idée de franchir les frontières pour gagner l’Helvétie où ne régnait point la frénésie bureaucratique, laquelle était la mamelle du Conseil de Défense. Le baron du Cachesex prévint : on n’hésiterait pas à engeôler les contrevenants. D’aucuns risquèrent cette question : comment les argousins sauraient-ils si vous reveniez d’être allé embrasser –bien que cela fût aussi tout à fait prohibé– votre grand’tante ou si vous aviez enfreint la loi en allant glisser sur des planches sur la poudreuse ? Revenir du royaume de l’Italie ou de l’Helvétie consisterait en soi une preuve de désobéissance. On était prévenu. Du reste, les sorties nocturnes seraient strictement interdites, le couvre-feu devant à nouveau entrer en vigueur dès les Ides de décembre.

Ce fut le moment que choisit le vieux roi Valkiry pour trépasser. Il avait coûté en entretien après-règne une fortune aux Riens et aux Riennes. Il n’y avait plus qu’à espérer que Niko dit les Casseroles, qui avait pour l’heure à subir chaque jour le grand mal de se retrouver face à ces magistrats qu’il haïssait afin de répondre de malversations et de méfaits, fût reconnu coupable et allât par bonheur goûter la paille humide des cachots, et que Françoué dit le Scoutère fût victime de l’ire d’un mari jaloux pour n’avoir plus comme perspective que celle d’entretenir Notre Effervescent Bibelot lorsqu’il chuterait au prochain Tournoi. Mieux valait le payer à se pavaner inutilement que de lui permettre de remonter sur le trône, tant son règne s’avérait calamiteux, sauf pour les Très-Riches, qui ne l’avaient jamais autant été.

Julie d’Aiglemont

3 décembre 20