Violences ! Quelles violences ?

On a vu fleurir sous la plume et dans les éditoriaux des journalistes les commentaires les plus inquiétants sur les conséquences économiques du mouvement des gilets jaunes. Nous aurions ainsi perdu 1.2 points de croissance et Vinci, par exemple, enregistrerait des pertes astronomiques après l’ouverture des barrières de péages par les manifestants. Nous n’évoquerons pas ici les propos récurrents sur les violences inadmissibles commises en provinces et à Paris. Voilà nous sommes au cœur du problème : la violence. Ainsi la violence serait bien le fait de ces brutes. Nous pensons qu’il est légitime d’interroger ce qui se cache derrière ces discours tenus à longueur de chroniques par les journalistes et les gloseurs attitrés quand ils parlent de la violence.

La violence est protéiforme mais celle qu’utilise Macron depuis son investiture est celle de la domination sociale. Une domination exercée par un président arrogant qui considère qu’il y a les premiers de cordée et les gens de rien. Ce sont ceux qui sont réduits à l’état d’esclavage moderne par une caste dominatrice, servie par les valets des médias qu’elle possède.

Cette violence n’est jamais évoquée dans les journaux télévisés, ni dans les émissions d’informations de grande écoute, ni même dans la presse écrite pour la simple raison que les médias organisent cette violence. Elle s’exerce par un rapport de soumission par lequel les dominés perçoivent la hiérarchie sociale comme légitime et naturelle.

Les dominants quant à eux se façonnent un tableau des dominés comme une insignifiance. Pierre Desproges caricaturait ce phénomène par cette saillie acide : « les aspirations des pauvres ne sont pas si éloignées des réalités des riches ». Les dominés intègrent la vision que les dominants ont du monde. Ce qui les conduit à se faire d’eux-mêmes une représentation négative. De cette représentation nait la soumission admise. Cette violence ne se voit pas, elle n’inflige pas de blessures physiques, c’est « la violence symbolique » que Bourdieu a théorisée.

Macron n’a pas inventé cette violence, il l’a juste renforcée. L’état depuis longtemps travaille à l’expansion de cette violence admise par tous puisqu’invisible. La différence avec les prédécesseurs réside dans l’outrecuidance avec laquelle il l’a verbalisée. Depuis le début de sa mauvaise investiture il a multiplié les propos actant cette violence. « Les illettrées », « les cyniques », « ceux qui ne sont rien », « les passions tristes du peuple », « les fainéants » resteront les déclarations qui sourdement ont fait prendre conscience au peuple de cette violence.

Macron a voulu une « startup nation » gérée comme une entreprise. Les grands commis de l’état ne sont plus ministre du travail, mais DRH, ils ne sont plus ministre de l’économie et des finances mais Chief Financial Officer, ils ne sont plus ministre de l’intérieur mais responsable de la sécurité et le ministère de la culture est devenu curieusement inaudible. En voulant calquer la gestion d’entreprise à la gestion d’une nation, Macron a ajouté à la violence symbolique la violence systémique. La violence des burn-out, celle des humiliations, des relégations, des pertes d’identité au profit d’une classification dans un tableur. Pour Macron, il y a ceux qui ont un costume et ceux qui portent un tee-shirt, il y a ceux qui suivent des études et ceux qui doivent traverser la rue. 

Des signaux avant-coureurs ont été envoyés à ce gouvernement aveugle. Les réformes de la SNCF l’engageant sur la voie de la privatisation ont donné lieu à des grèves perlées et vigoureuses. La réforme du droit du travail s’est accompagnée de manifestations structurées et organisées. L’orientation post-bac qui fut un véritable désastre a amalgamé la colère des jeunes. A chacun de ces avertissements, ce gouvernement composé d’individus d’une arrogance inouïe est resté sourd, pire il a plongé dans le déni, voire la provocation et le mépris des forces populaires.

Alors c’était inévitable, la colère a crû et ces violences symbolique et systémique se sont muées en violences de faits. Les victimes des violences macronesques épuisées par cette surdité récurrente, maltraitées et humiliées ont versé dans la fureur. Macron et son aréopage de marcheurs morts s’en sont trouvés tout ébaubis. Cette surprise est bien révélatrice de leur sottise crasse. L’histoire est constellée de ces instants où la force du peuple bascule dans la violence légitime pour se réapproprier la liberté bafouée. Quelle a été la réponse de ce gouvernement d’imbéciles en marche ? Un surcroit de violence symbolique manifestant la volonté farouche de maintenir l’ordre social établi de longue date, un débordement de violence physique organisée avec la licéité de l’institution. 

Là se trouve donc bien le nœud du problème, quand la violence symbolique et la violence systémique prennent corps dans une violence physique opposant les garants de l’ordre et celles et ceux qui se lèvent pour dire « non », il faut choisir son camp et cesser de se réfugier dans la complicité tacite avec un pouvoir à la dérive. « Nul n’est prophète en son pays » et le champ des possibles devant une situation insurrectionnelle est infini, mais on sait qu’à chacun de ces épisodes le pouvoir vacille.

Il est une conséquence dorénavant admise et visible de ces violences, c’est celle des blessures mortelles infligées à notre environnement. La résultante de cette politique néolibérale qui prône toujours plus de croissance et de profits se concrétise dans l’anéantissement de la vie sur cette terre qui reste notre bien commun.

Il nous reste à construire sur les ruines annoncées.

Planche d’illustration de Zaïtchick’s Blog