Cette journée du 17 novembre baptisée « Journée des gilets jaunes » fait débat chez les Pêcheurs de perles macronesques. Les avis sont partagés, voici un point de vue :
L’évènement du 17 novembre sera un pur produit des réseaux sociaux. Le but : manifester son mécontentement face à la hausse du prix du carburant qui semble cristalliser d’autres colères.
Si l’intention est légitime elle pose un vrai débat, celui des modes d’action et avec qui.
Le mode d’action qui consiste à bloquer la circulation est en effet d’une efficacité redoutable, tant sur le plan économique que sur l’impact auprès des citoyens. Si, de surcroît les routiers s’engagent dans le mouvement cela peut devenir dévastateur. On se souviendra du rôle décisif de ces blocages durant les grèves de 1995 contre les lois Juppé, voire le rôle déterminant des routiers dans le putsch qui renversa Salvador Allende le 11 septembre 1973. C’est bien la raison pour laquelle le gouvernement s’inquiète autant.
L’autre question réside dans la légitimité des motifs de cette action. La hausse des prix des carburants alors que le prix du baril de brut est en baisse permanente.
Il est évident que cette hausse est un impôt qui va encore affecter les plus fragiles, mais je pense que tout a été dit sur le sujet. Il ne s’agit pas là de passer sous silence l’importance de cette ponction injuste sur les budgets aux limites.
La vraie question est avec qui mener cette action ? Certains prétendent qu’il s’agit à l’origine d’un mouvement citoyen. Quelqu’un pourrait-il m’expliquer clairement ce que signifie « mouvement citoyen » ? Ce que j’en comprends, c’est un mouvement né en dehors de toute organisation syndicale ou politique. Partons donc de cette hypothèse.
Autre question, il a bien fallu un « quelqu’un(e) » pour lancer cette initiative, il faut bien que ce mouvement prenne chair à un instant initial. Qui est ce quelqu’un ? Peut-on imaginer raisonnablement que Georgette, mariée, 2 enfants, un mari au chômage passe à la pompe à essence et prenant conscience du prix du carburant se lance dans une pétition le soir même appelant au blocage des routes ? Georgette est « apolitique » évidemment. Quelqu’un pourrait-il m’expliquer ce que signifie « apolitique » ? Georgette n’a aucune confiance dans les syndicats et sûrement pas plus dans les organisations politiques. Alors, des millions de personnes adeptes du « tous pourris » relayent l’initiative de Georgette et sont prêtes à se battre pour le prix du carburant, le climat, les salaires, la sécu, … Les raisons ne manquent pas bien sûr, et tout ce petit monde subitement indigné va aller sur les routes habillé d’un gilet jaune pour défendre qui la hausse des prix du carburant, qui l’écologie, qui le végétarisme…
À moins d’une bonne dose de crédulité le scénario semble pour le moins incertain. Mais qui est Georgette ? Même le journal Libération tentant de trouver Georgette se casse les dents (Hausse du prix de l’essence: qui est à l’origine du mouvement du 17 novembre ? )
Je pose la question qui est l’interlocuteur en cas de négociation ? Négociation sur quoi ? Avec quelles propositions ?
Et ce samedi du 17 novembre on trouvera sur les routes les adeptes du « tous pourris », ceux du RN pour qui l’aubaine est de taille, ceux de LFI mollement ralliés et peut-être même quelques représentants du mouvement Les Républicains ainsi que quelques éléments socialistes, en quête de sens. Il serait alors de bon ton que chacun identifie son appartenance sur son gilet et se regroupe sur des routes distinctes. Je gage que cela va être à l’origine d’un beau bordel idéologique. Le meilleur sera à venir quand il faudra mettre tout ce petit monde d’accord sur les objectifs à tenir.
Partons du principe qu’il s’agisse d’un mouvement citoyen, j’en ignore encore la définition précise, mais supposons qu’il s’agisse d’un mouvement qui ne soit « ni syndical ni politique ». Cette sémantique délicate et subtile ne vous rappelle rien ? Avec un petit effort vous vous souviendrez de ce leitmotiv macronesque « ni de droite ni de gauche ».
Dans sa méthode de l’analyse institutionnelle, Bourdieu montre que les organisations qui luttent contre une institution ont une tendance à reproduire son mode de fonctionnement. La boucle serait-elle bouclée ? Ces mouvements dits « en dehors du système » mènent inévitablement à ce que l’on observe en Italie actuellement.
Alors certains invoqueront « les ruses de la raison » hégélienne appliquée à l’Histoire. Selon Hegel l’Histoire avec un grand H, la majestueuse histoire prendrait ses virages sur des petites affaires de corneculs. Ainsi notre grande Révolution de 1789 ayant donné naissance après bien des chaos à notre République serait née du prix du pain et de la mauvaise qualité de la farine qui aurait motivé la prise de la Bastille ? Ainsi se plaisent les tenants de cette théorie improbable à justifier les aléas de l’Histoire. Même si Hegel fait figure de référence pour certains en matière de philosophie de l’histoire, il faut mentionner l’oxymore sur lequel repose cette affirmation. Comment une tromperie pourrait-elle être l’alliée ou le complément d’une vérité ? Il s’agirait alors d’un mensonge. Hegel avec tout le respect que l’on doit à son œuvre polymorphe a sans doute commis des erreurs, dont celle-ci. Et si la formule est plaisante, qu’elle puisse satisfaire les motivations des gilets jaunes, elle n’en est pas moins trompeuse. Même ceux qui concèdent à la ruse des excuses accidentelles, ne vont tout de même pas, comme Hegel, jusqu’à en faire l’attribut principal de la raison historique. Elle n’offre en aucune de ses formes un aspect très rassurant, ni engageant.
Revenons à cette journée du 17 novembre. Parmi ce fatras de revendications, beaucoup espèrent que ce sera l’élément déclencheur à la chute du macronisme. On lit sur les réseaux sociaux le futur possible de ce mouvement, chute du gouvernement, dissolution de l’Assemblée Nationale ; voire dissolution du Sénat (le Sénat ne peut pas être dissout !).
En bref ceci s’inspire de revendications essentiellement individuelles, et « pourvu que MON essence soit moins chère ».
Qu’en était-il quand Macron a fait adopter par la voie des ordonnances les modifications profondes et rétrogrades du Code du travail ? Qu’en était-il quand ce gouvernement mortifère a posé les éléments de la privatisation du transport ferroviaire ? Qu’en est-il quand Macron et les membres de son gouvernement sont englués dans histoires opaques voire glauques à souhait ? Qu’en est-il quand la république des marcheurs morts de l’Assemblée Nationale vote des lois iniques telles que la loi asile-immigration ? Qu’en est-il quand ces dégénérés de la pire espèce prolongent l’utilisation du glyphosate ? Les faits ne manquent pas sur l’absurdité délétère de ce gouvernement de fantoches. Rien, absolument rien.
Les corps intermédiaires ont perdu bon nombre de batailles contre ce libéralisme sauvage incarné par un Jupiter élyséen autoproclamé, par ce philosophe de comptoir au service des intérêts d’une finance diabolique. Ces défaites s’accumulant renforcent la légitimité de ce pouvoir qui tend à devenir de plus en plus absolutiste.
Pour une transition de pouvoir il faut une opposition structurée sur des bases politiques élaborées et solides auxquelles les citoyens adhèrent. Aujourd’hui les tenants de cette action du 17 novembre invoquent « la goutte qui fait déborder le vase » mais ne voient que la goutte et non pas le vase ?
Cette action, en dehors du fait d’être motivée par des considérations douteuses, est vouée à un échec inéluctable et contre-productif. Il renforcera l’idée de ceux-là même qui adhèrent à ce mouvement de la nécessité d’un pouvoir fort dont Macron et sa clique de guenilles ne manqueront sûrement pas de s’emparer.
Ainsi va le monde post-moderne.