Identifier l’adversaire

Identifier l’adversaire

Ce dialogue est tiré du merveilleux livre de John Steinbeck « Les raisins de la colère ».

En 1930 après la crise financière de 1929, des milliers de fermiers subissent les assauts de l’agro-industrie et sont contraints d’émigrer massivement vers l’ouest où ils deviennent souvent saisonniers et vagabonds.

Ce chef-d’œuvre s’ouvre sur un dialogue imaginaire entre un fermier poussé au départ et l’employé venu détruire sa ferme à coups d’engins de chantier. Le premier veut comprendre d’où le second tire de tels ordres, ce que ce dernier ignore. Ce sont les banques lui avoue-t-il, il n’en sait pas plus.

Les idéologues du système capitaliste redoublent d’effort pour nous convaincre que les décisions économiques ont davantage de rapport avec « un orage ou un tremblement de terre » qu’avec des décisions prises par des individus de chair et d’os. Il n’y aurait personne à qui s’en prendre : la «  loi du marché », la « concurrence », la « mondialisation » ou mieux « la finance » nous imposeraient leurs règles et leurs caprices, comme autant de phénomènes météorologiques à peine prévisibles et parfaitement incontrôlables.

 

– Elle a bien un président cette banque. Elle a bien un conseil d’administration. Je vais charger la carabine et je vais les trouver. 

Et le conducteur répondait :

– J’ai un collègue, il m’a dit que la banque elle a des ordres qui viennent de l’Est. Et les ordres c’est :

« Faites ce qu’il faut pour que la terre rapporte ou bien on vous fait fermer . »

– Mais où ça s’arrête ? Qui c’est qu’on peut tuer ? J’ai pas l’intention de crever de faim avant d’avoir tué l’homme qui me fait crever de faim.

– Je sais pas. Aussi bien y a personne à tuer. Aussi bien c’est pas les hommes. Comme vous dites, aussi bien c’est la faute à la propriété. En tout cas moi je vous ai dit les ordres que j’ai.

– Faut que je réfléchisse, disait le métayer. Faut tous qu’on réfléchisse. Y a forcément moyen d’arrêter ça. C’est pas non plus un orage ou un tremblement de terre. C’est un malheur qui vient des hommes, et par Dieu on doit pouvoir y faire quelque chose.

(J. Steinbeck : « Les raisins de la colère »)

(Nicolas Framont : « Parasites » ed. Les Liens qui Libèrent, 19,50€)

29/05/23