Macron devant les députés En Marche : le décryptage d’une sémiologue
Sémiologue et spécialiste du langage, Élodie Mielczareck décrypte le discours d’Emmanuel Macron devant les députés de la majorité pour réagir aux accusations dont il fait l’objet dans l’affaire Benalla.
Élodie Mielczareck est sémiologue et auteur de Déjouez les manipulateurs (Éditions du nouveau monde, 2016).
FIGAROVOX.- Ce mardi 24 juillet, Emmanuel Macron a réagi à l’affaire Benalla devant les députés de la majorité et les membres du gouvernement. Comment comprenez-vous ce choix de s’adresser à ses alliés et non pas directement aux Français ?
Élodie MIELCZARECK.- Emmanuel Macron a construit un storytelling personnel autour de la notion de courage, notamment. Rappelant par ailleurs un certain slogan utilisé par François Fillon lors de la campagne («Le courage de la vérité»). Ce leitmotiv est en effet très courant chez les dirigeants politiques qui construisent ainsi un «ethos» héroïque. Les similitudes ne s’arrêtent pour autant pas ici. Nous nous souvenons du «je veux dire à Pénélope que je l’aime» se faisant devant un public partisan (premier meeting à Paris). Il est bien sûr plus confortable et plus photogénique d’être applaudi que molesté par la foule hétérogène. Le contrôle de l’image et des symboles passant par le contrôle des effets de réception de ce même message. En effet, il ne suffit pas d’être bon orateur, encore faut-il que le discours soit entendu et entendable, c’est-à-dire en accord avec la doxa, soit les croyances et opinions de ceux qui écoutent.
Le choix d’Emmanuel Macron s’est porté sur une prise de parole intimiste et non officielle: le discours est filmé à la volée, par un téléphone portable semble-t-il. L’image bouge, on entend des chuchotements. Ne soyons pas naïfs, tout cela a été anticipé: les conditions de diffusion sur les réseaux sociaux étant inévitables.
Dès lors apparaît clairement une volonté de créer des clans: ceux qui sont admis près du Président de la République et peuvent écouter le discours dans les meilleures conditions ; et les autres. Choix étonnant, alors même que le BenallaGate reposerait justement sur un certain favoritisme… Les rires et les applaudissements participent de ces postures qui visent – plus ou moins consciemment – à ridiculiser ceux qui ne font pas partie du cercle, ceux qui sont extérieurs à la Cour Présidentielle. Nous sommes loin du positionnement rassembleur de la campagne présidentielle («Ensemble, la France»), et de la volonté disruptive du «Nouveau Monde».
Enfin, et sans doute de manière plus ennuyeuse, cette séquence intimiste dans la prise de parole du Président de la République peut interroger sur ladite «séparation des pouvoirs», occurrence linguistique la plus répétée ces derniers jours lors des auditions à l’Assemblée Nationale, et également devant le Parlement. Les acteurs qui applaudissent peuvent-ils être dans un même temps ceux qui veulent la «Vérité» sur cette affaire? Enfin, les Français sont-ils aussi peu recommandables qu’on ne leur adresse pas la parole directement. Est-ce parce que la pensée présidentielle est «trop complexe»?
«S’ils cherchent un responsable, le seul responsable, c’est moi et moi seul. C’est moi qui ai fait confiance à Alexandre Benalla. C’est moi qui ai confirmé la sanction. (…) S’ils veulent un responsable qu’ils viennent le chercher»: selon vous, et à partir des mots et gestes employés par Emmanuel Macron, que révèle cette séquence ?
Assez répandue dans le domaine des déclarations politiques, la figure de l’hubris se lit entre les lignes. Figure centrale du théâtre grec, l’hubris s’oppose à la tempérance. Plus récemment, et dans son acception anglaise, le terme renvoie à des comportements narcissiques, prétentieux et égotiques. Les mêmes traits de caractère que certains (les syndicats de police, notamment) reprochent à Alexandre Benalla…
Notons que ce sentiment de «surpuissance» est également associé (sur les réseaux et dans les médias) à Emmanuel Macron et sa présidence jupitérienne. Un positionnement qui contraste vivement avec la dimension empathique développée lors de la campagne présidentielle. Sans doute la rigidité corporelle observée ces derniers mois s’accompagne d’une rigidité «morale». Les avancées en neurosciences et en psychologie sociale permettent en effet d’affirmer que ce qui se passe dans le corps est symptomatique de la dynamique de pensée.
La sentence «qu’ils viennent le chercher», même si l’utilisation du pronom personnel «le» permet une mise à distance (versus «qu’ils viennent me chercher»), est ainsi un défi. Loin d’apaiser les tensions, cette bravade lancée à destination des institutions à de quoi surprendre. Est-ce la définition des mots «courage» et «exemplarité» selon le président de la République ?
On se souvient de la phrase «je suis votre chef» lancé au chef d’État-major des armées il y a tout juste un an, lorsque le Président était également mis en difficulté. Cette propension à surjouer l’autorité et à mettre sa personne en avant dans les moments compliqués n’est-elle pas caractéristique du comportement d’Emmanuel Macron ?
On a souvent comparé Barack Obama à Emmanuel Macron. Sur le plan des stratégies de communication et l’utilisation des réseaux sociaux, c’est tout à fait judicieux. En revanche cela s’avère peu juste sur le plan comportemental. Alors que la dynamique corporelle de l’ancien président américain est conquérante – celui qui domine parle lentement et sereinement car il n’a pas de prédateur à craindre – la dynamique corporelle d’Emmanuel Macron est très différente.
Certains traits comportementaux, comme l’agitation devenue très présente des épaules et des mains, sont des marqueurs de stress et d’empressement. De même les rictus et les gestes d’agacement peuvent être symptomatiques d’un certain malaise relationnel. Le «vrai» dominant n’est pas celui qui casse, il n’en éprouve pas le besoin puisqu’il s’impose «naturellement». Le sarcasme et l’agressivité sont davantage l’apanage de celui qui est en stress et cherche à imposer. Autrement dit, les tours de force répétés d’Emmanuel Macron montrent qu’il est convaincu qu’il doit en faire deux fois plus, ou passer en force… le gant de velours s’étant grandement effiloché ces derniers mois.
La réaffirmation de la légitimité devient même suspecte tant elle est permanente. Que manque-t-il à Emmanuel Macron pour être si peu serein sur ces questions liées à l’affirmation du pouvoir ?
«Alexandre Benalla n’a jamais détenu les codes nucléaires, Alexandre Benalla n’a jamais occupé un 300 m2 à l’Alma, Alexandre Benalla n’a jamais eu un salaire de 10.000 euros, Alexandre Benalla n’a jamais été mon amant». En prononçant ces mots, Emmanuel Macron emploie la dérision. Est-ce pour dédramatiser l’affaire ?
Là encore, un nouveau paradoxe. Emmanuel Macron défie les institutions, et davantage encore la presse «qui ne cherche plus la vérité», notamment en court-circuitant les modalités habituelles et attendues d’une prise de parole officielle devant les micros ou sur un plateau télé. Un pied de nez qui marque une défiance certaine – dans la continuité de ce qu’a initié François Fillon durant la campagne présidentielle. L’ironie et la dérision ne sont pas des figures de style anecdotiques: elles portent en ridicule les paroles qui ont circulé et ont été reprises dans les médias, et donc de manière indirecte, les journalistes eux-mêmes…
Pourtant, le fait de reprendre mot pour mot les mêmes termes montre une attention extrême portée à cette parole médiatique. Décriés d’un côté, et minutieusement observés de l’autre, les mots journalistiques deviennent le symbole de la répartition clanique. Ceux qui font partie du clan doivent ainsi les mépriser, les rabaisser, applaudir l’ironie et la dérision – une façon rhétorique de se réapproprier la parole de l’autre en la déformant et en se jouant de la légitimité et du rôle incarné par les locuteurs originaux.
par Etienne Campion, le 26/07/2018