Invariablement et depuis maintenant un siècle les commémorations se succèdent à la gloire de nos Poilus qui ont sauvé la France de l’ennemi teuton. Vous aurez bien noté que toutes ces célébrations évoquent le courage, le sens du sacrifice de ces braves hommes qui ont payé de leur vie la pérennité de notre liberté et la sauvegarde de la nation.
Ils seraient tous partis au front la fleur au fusil, pressés d’en découdre avec le « boche » sanguinaire. Il faut bien alimenter les mythes populaires. Une autre légende prétend que les français auraient massivement résisté à la peste nazie. Cette dernière encore un peu trop proche de nous a quelques difficultés à prendre complètement corps.
Il est curieux que nous ne profitions pas de ces cérémonies pour évoquer le rôle de ces industriels ingénieux et bienveillants qui ont doté ces braves gens d’armes meurtrières jamais égalées jusqu’à lors. Sous le sceau de l’effort national (national est un mot dont il est judicieux de toujours se méfier) ces profiteurs de guerre sont devenus les multinationales d’aujourd’hui.
L’état-major réclame 100 000 obus par jour, on n’en fabrique à l’époque « que » 10 000, qu’à cela ne tienne. La puissante organisation patronale française, menée par la famille Wendel propriétaire des aciéries de Lorraine opérera une mutation rapide de sa production afin de satisfaire le carnage. Wendel ? Ça ne vous rappelle rien ? Ernest Antoine Seillière ex patron des patrons, propriétaire entre autres du bureau Veritas (bureau de la vérité ? Quelle ironie !) en est la figure emblématique aujourd’hui. Louis Renault qu’on ne présente plus et qui a sauté sur cette aubaine alors que son activité semblait en détresse. Citroën fera fortune avec la fabrication d’obus, la bagatelle de 24 millions à la fin du conflit. La famille Peugeot ne saurait être absente de cette manne propre à alimenter le carnage, elle se lancera elle-même dans la fabrication d’obus et dans l’assemblage de moteurs d’avions. Citroën et Peugeot fusionneront en 1976, et tout le monde oubliera que ce mariage célébré avec enthousiasme est celui de meurtriers d’hommes innocents dont nous célébrons avec la plus grande connerie la mort dans la fleur de l’âge. On n’oubliera pas tonton Marcel qui donnera naissance au groupe Dassault. A chaque fois que nous équipons nos automobiles de pneus Michelin, il serait pertinent de se souvenir que ce fleuron industriel a établi sa bonne fortune sur la production de masques à gaz, toile de tente et autres facilités au déploiement du conflit.
« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels », on n’entend pas assez cette vérité tenace lors des discours officiels célébrant cette boucherie. On célèbre en revanche avec des trémolos dans la voix le courage légendaire de aïeux, de ces « pauvres cons du front » comme ils se nommaient eux-mêmes dès 1915 ayant compris le jeu dont ils étaient les victimes.
Ces célébrations devraient être l’opportunité de rappeler que ces salauds de l’époque sont les salauds d’aujourd’hui et que le jeu d’alliance des ambassades qui se sont jetées à corps perdu dans cette horreur a été organisé par ces mêmes ordures qui aujourd’hui détruisent encore des vies dans des conflits organisés par leur soin. Il est également curieux qu’on n’ait pas révisé les procès des « fusillés pour l’exemple » et tirer un peu au clair les mensonges sur lesquels s’est appuyée l’armée pour les sacrifier. Les monuments aux morts érigés dans les villes et les villages de France sont propres à donner la nausée. Rappelez-vous que les Wendel, Renault, Peugeot, Citroën, Michelin et consort n’ont pas eu à déplorer de victimes de guerre dans leur rang.
« La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas » (Paul Valery).
Il nous semble urgent de lire ou relire « Voyage au bout de la nuit » (Céline), « Le feu » (Barbusse) et l’incontournable « Les Thibault » de Roger Martin du Gard avant d’écouter les discours honteux célébrant ces jeunes gens morts pour que les mêmes salauds continuent aujourd’hui leur œuvre de destruction.